Ce thème a un passé à multiples facettes. Il prend racine dans de très vieilles traditions mythologiques: chez les anciens Grecs, le rapt de Perséphone (Proserpine chez les Romains) par Hadès (Pluton), dieu des Enfers, est une claire préfiguration de cette collision entre Éros et Thanatos. La jeune déesse cueillait des fleurs en compagnie de nymphes insouciantes lorsqu'elle aperçut un joli narcisse et le cueillit. À ce moment, la terre s'entrouvrit; Hadès sortit des abysses et enleva Perséphone.
C'est cette ancienne vision qui sera mise en forme à la fin du 15e siècle et deviendra le thème de la jeune fille et la Mort. Celui-ci connaîtra son point culminant chez les artistes allemands de la Renaissance. Dans presque toutes les danses macabres déjà figuraient une rencontre de la Mort avec une belle dame ou une ravissante pucelle; on retrouvait aussi une jeune femme dans le thème des trois âges et la Mort. Dans les deux cas, aucune trace d'érotisme. Avec la jeune fille et la Mort, il se créa un rapprochement nouveau dans la mentalité de l'époque: on découvrit le sombre lien entre la sexualité et la Mort. Dans ce type d'iconographie, la demoiselle n'est plus entraînée dans une danse, mais dans un échange sensuel, qui s'érotisera toujours plus avec le temps. Les vers qui accompagnaient la danse macabre sont absents; par ce fait, ce nouveau genre d'illustration perd en intensité dramatique, et le but didactique de l'oeuvre s'estompe. Par contre, le caractère intime gagne en importance. Malgré la sensualité de ce nouveau genre, on n'oublie pas la morale: on rappelle toujours le caractère éphémère de la vie, de la fière beauté de la femme. Son corps, son visage, ses cheveux et sa poitrine deviendront pâture pour les vers.
En 1517, Hans Baldung Grien peignit ce tableau dans lequel la Mort saisit une jeune fille par les cheveux pour la forcer à descendre dans la tombe creusée à ses pieds, que la Mort désigne de sa main droite. La jeune fille, complètement nue, n'offre aucune résistance. Sa bouche est plaintive, ses yeux sont rouges et des larmes coulent sur ses joues; elle a compris que c'est la fin. Cette artiste a peint plusieurs tableaux de ce genre. Il apparaît que la rencontre de la jeune fille avec la Mort a été utilisée comme prétexte pour représenter la nudité féminine.
Cette oeuvre de Niklaus Manuel Deutsch (connu surtout pour la danse macabre de Berne) exécutée en 1517 démontre bien la transition entre la danse macabre et le thème de la jeune fille et la Mort. Ici la Mort est un cadavre putride qui ne se contente pas de toucher légèrement la jeune fille ou de la prendre gentiment par la main; il lui empoigne le cou et l'embrasse, il touche à son sexe. L'affreux amant semble ne rencontrer aucune résistance de la part de la jeune fille.
